Je me serre dans le recoin de mur où je suis caché pour être sur que ma sœur ne me voit pas et resserre ma prise sur le sachet de farine que je tiens dans ma  main droite. Si je réussis mon coup, Emma devrait se retrouver pleine de farine et donc arriver en retard d’une demi heure au minimum au rendez vous fixé par son petit ami. Si je me rate, je me tape le nettoyage du couloir tout seul. J’entends des pas à ma gauche. J’entrouvre le sac en papier et attends quelques secondes. Lorsque ces pas sont devant moi, je me rue hors de ma cachette en hurlant et vide mon paquet de farine. « EDWARD JAMES WILLIAMS TU AS INTERET A AVOIR UNE EXCELLENTE EXCUSE POUR CE QUE TU VIENS DE FAIRE. » Ma mère. Merde. Elle est pleine de farine, de la tête aux pieds. « Je… euh… c’était pour Emma maman… Elle a… Elle a… Elle a effacé tous mon devoir de français et je dois tout recommencer alors tu comprends j’ai voulu me venger et… » « Menteeeeeeeur menteuuuuur, c’est mal ça Ed tu sais, maman j’y vais, je vais rejoindre Leah, je rentre vers minuit ! » Ma mère hoche la tête et la laisse passer. Au passage elle chuchote dans mon oreille : « La prochaine fois cache tes boucles mon chaton, c’est moyen pour la discrétion, je pense que tu vas passer une charmante soirée ». Je la frappe sur l’épaule. «  CONNAAAAAAAAASSE ! » Maman me jette un regard noir. « Je vais prendre une douche durant laquelle je vais devoir me laver les cheveux puis je vais mettre toutes ces fringues à la machine à laver. Ça va me prendre entre une demi heure et trois quart d’heure, s’il reste ne serait-ce qu’un seul grain de farine dans ce couloir à ce moment-là… Je te conseille de te démerder pour qu’il n’y en ai aucun. » Je hoche la tête. J’ai quatorze ans et j’ai rarement le droit de sortir après dix heures et demi du soir, je n’ai pas envie de rentrer à vingt heures. Même Emma pourtant presque majeure doit être à la maison à une heure du matin le samedi soir. Nos parents abusent un peu sur ce sujet. Au vu de la farine que j’ai répandu, je sais qu’il me faudrait plutôt deux heures qu’une demi-heure pour tout nettoyer. Je cours vers le placard où l’aspirateur est branché et je l’allume. En vingt cinq minutes, je réussi à enlever le moindre grain de farine présent dans ce couloir. Je m’appuie sur le mur, crevé. Je sais que j’ai eu chaud. Je sais aussi que si Emma m’avait vu, elle doit avoir envoyé maman dans cette direction pour être sure de m’éviter. Et enfin, je sais surtout que je lui ai donné une très bonne idée en parlant d’effacer mon devoir de français, en espérant qu’elle ne l’ait pas déjà eu, évidemment. Je range l’aspirateur puis me rends dans ma chambre. Je vérifie la présence de mon devoir qui est toujours en entier dans mon trieur. Je le relis rapidement pour vérifier qu’Emma ne m’a fait aucune petite blague du genre changer quelques mots pour rendre mon devoir plus drôle. Enfin drôle… Tout dépend du point de vue. Je cache ma copie sous mon matelas et m’allonge sur mon lit, mes écouteurs dans les oreilles. Je suis un grand fan de Bob Dylan. Depuis toujours. Je chantonne doucement lorsque ma mère pénètre dans ma chambre en furie et arrache mes écouteurs de mes oreilles. « Edward, il va pleuvoir, il va pleuvoir, ta sœur est dehors, va la chercher dépêche toi, tu m’entends ? DEPECHE TOI ! » Je hausse les épaules. La terreur de ma mère face à la pluie est assez comique mais je sais bien qu’il ne faut pas déconner avec ça. « Elle est où exactement ? Tu sais Manchester est une grande ville maman, je la retrouverai jamais… » « Elle est au ciné avec Leah. » Je sais très bien qu’elle n’est pas au cinéma mais plus certainement dans une grosse soirée quelque part dans la ville étant donné que j’ai intercepté des messages de son petit ami lui donnant rendez vous je ne sais plus où. Je hoche la tête, prends le parapluie que ma mère me tend et mon portable. Une fois dehors je passe un coup de fil à ma sœur et tombe sur son répondeur. « Em, maman fait chier le monde mais apparemment il va pleuvoir alors dis moi où t’es ! » Je me dirige vers l’endroit où sa meilleure amie habite sachant parfaitement que ses parents sont rarement là et que son appartement est devenu une sorte de salle des fêtes pour tous ses amis. Un quart d’heure, j’arrive sous ses fenêtres. En effet, Emma est sur le balcon, un verre dans une main, une cigarette dans l’autre, et la langue dans la bouche de son petit ami. Je prends une photo avec mon portable, des fois qu’elle ait encore des envies de foutre la merde entre maman et moi, et entre dans l’immeuble. Je suis venu espionner Emma assez de fois pour connaître le code, l’étage et l’appartement de son amie. Je frappe à la porte et un étrange jeune homme vêtu d’un simple slip vert à paillettes et d’une perruque jaune fluo m’ouvre la porte. Je lui jette mon regard le plus désagréable et entre dans l’appartement avant qu’il ait eu le temps de comprendre ce qu’il se passe. Je me dépêche d’arriver sur le balcon où est toujours ma sœur et donne un grand coup dans son verre qui se renverse sur sa robe beige. « Ça, c’était pour la farine tout à l’heure, tu m’as énervé. Maintenant, on bouge. Il va pleuvoir et maman est stressée, comme d’hab quoi… » Emma se retourne doucement vers moi et me jette son regard le plus noir. « Tu me paieras ça Edward, je te le promets. Vraiment. » Elle s’excuse auprès de son petit ami et va chercher son manteau et son sac. « On y va, j’ai la flemme d’être privée de sorties pour le restant de mes jours. Mais je vais te tuer un jour. Tu devrais faire gaffe. » Je hausse les épaules. « J’ai une photo de toi sur le balcon avec de l’alcool, une clope et ton mec donc fais pas trop trop trop la maline non plus hein… » Elle esquisse un geste vers mon portable. Je lui montre l’écran. « Ai-je précisé qu’il ne suffit que d’un bouton pour que je l’envoie par mms à maman ? » Elle hurle. « Je trouverai un moyen de te tuer, t’inquiète, c’est toujours moi qui gagne à la fin. Tu le sais très bien. » Je m’apprête à lui adresser une remarque bien sentie sur ce que je pense de ses pseudos victoires à deux balles quand je sens quelque chose de mouillé glisser sur ma joue. Je sais pertinemment que ce n’est pas une larme. Je lève les yeux vers le ciel et me rends compte qu’il pleut. Pour la première fois en quatorze ans, je suis sous la pluie. « COURS EMMA ON VA SE FAIRE TUER SI ON ARRIVE TREMPES !!!!! » Nous courons comme des dératés pour essayer d’atteindre la maison sans être mouillés de la tête au pied mais peine perdue. « On est dans une de ces merdes bro, c’est un déliiiiiiire » Je ne prends pas la peine de répondre, Emma n’a pas besoin de me dire ce genre de choses pour que je les sache. Je m’arrête une seconde pour reprendre mon souffle et regarde autour de moi. « EMMA ? EMMA ? » Ma sœur semble avoir disparu. Je hurle son prénom de toutes mes forces.  « EMMA C’EST PAS DROLE T’ES OUUUU ? EM… » Je m’arrête au milieu de ma phrase et regarde mes pieds. Ils sont à quinze centimètres du sol. J’essaie de comprendre ce qui m’arrive sans y arriver. Je m’éloigne de plus en plus de la terre. Etrangement, je n’ai pas peur. Je suis étonné, c’est tout. J’ai l’impression de vivre quelque chose que j’ai attendu toute ma vie sans réellement savoir de quoi il s’agit. Et j’ai l’étrange instinct que ma sœur n’est pas si loin. En effet, très vite, je l’entends m’appeler. Elle est en compagnie de deux personnes, un homme et une femme, qui ont l’air de l’angoisser. La femme s’avance vers moi. « Aaaah, en voila un nouveau, tu dois être Edward ? Ta sœur t’appelle depuis cinq bonnes minutes… Justement il fallait qu’on discute ! » Elle m’adresse un grand sourire. « Mais qu’est ce que c’est que ce bordel ? » « Je sais pas… Apparemment on est des enfants des nuages ou de l’horizon suivant la personne que tu décides de croire… Et faut qu’on aille dans un royaume dans les nuages… ou dans la brume… Lui il veut qu’on aille dans la brume » dit-elle en me montrant le jeune homme. « Je comprends rien mec. » Je secoue la tête. « Bon. On va faire la plouf. Instagram pic et pic et colegram bourre et bourre et ratatam amstamgram pic dam, nous allons avec madame. » Elle parait ravie et nous tend la main. « Allez venez, direction les nuages !!! »


Emma et moi sommes arrivés dans les Nuages il y a quatre ans maintenant. Je ne regrette pas ce choix du au total hasard. Nous avons rencontré des gens supers, d’autres un peu moins supers et même si nos anciens potes et notre famille terrienne nous a beaucoup manqué pendant un temps, tout va mieux maintenant. J’étudie le vol acrobatique, le vol supersonique et les sciences politiques et ces matières me plaisent énormément. Emma a choisi de prendre médecine, vol acrobatique et vol supersonique. Il faut dire qu’on est particulièrement bons en vol, ça doit être un truc de famille. Nous vivons ensemble tous les deux et même si nous ne pouvons pas nous empêcher de nous faire des blagues à deux balles et de chercher la merde constamment, nous nous amusons beaucoup, il n’y a aucune personne au monde que je n’aime plus qu’Emma, je le sais parfaitement même si je me tuerais plutôt que de l’avouer à ma chère frangine.